Scène Deuxième

Trielle, Valentine

VALENTINE.

Eh bien, en voilà du mystère ! Tu fais donc de la fausse monnaie ?

TRIELLE.

Du tout. J’avais poussé le verrou, étant pressé par ma copie et craignant qu’on me dérange. Entre.

VALENTINE.

Entrant.

Ferme vite la porte, que l’inspiration ne se sauve pas.

TRIELLE.

Tu as toujours quelque chose d’aimable à me servir.

VALENTINE.

Eh ! on n’a pas idée, aussi, de se donner de l’importance au point de se mettre sous clé comme une bijouterie de luxe. Tu te prends au sérieux, ma parole.

TRIELLE.

Tu es bête.

VALENTINE.

En tout cas, je n’ai pas le ridicule de me confondre avec Lord Byron. Toc !

(Clignement d’œil.)

TRIELLE.

Ne sois donc pas méchante par système, Valentine. Où es-tu allée pêcher que je me confonde avec Lord Byron ? Je t’explique que mon travail…

(Au mot de travail, Valentine part d’un bruyant éclat de rire.)

Tu es mal venue à me le jeter au nez. Si tu crois que je le fais pour mon plaisir, tu te trompes.

VALENTINE.

Et si tu crois le faire pour le plaisir des autres, tu te trompes encore bien davantage.

TRIELLE.

Quel singulier agrément peux-tu prendre à ne me dire que des choses blessantes ou ayant l’intention de l’être ?… Bah ! nous verrons bien, de nous deux, celui qui rira le dernier.

(Valentine, étonnée, le regarde.)

Patience, mon petit loup, patience !

VALENTINE.

Quoi ?

TRIELLE.

Patience ! te dis-je ; l’heure est proche.

VALENTINE.

Sais-tu ce que tu me rappelles ?

TRIELLE.

Un daim ?

VALENTINE.

C’est prodigieux ! Tu as le don de la divination.

TRIELLE.

N’est-ce pas ? Voilà comment nous sommes dans le feuilleton à trois sous la ligne. Mais peut-être ferions-nous bien de ne pas pousser plus avant dans le domaine du marivaudage, et d’aborder les choses sérieuses. Tu as à me parler ?

VALENTINE.

C’est probable. A moins que je ne sois venue exprès pour jouir de ta compagnie et recueillir comme une manne bienfaisante les paroles tombées de tes lèvres…

TRIELLE.

Je n’oserais l’espérer. Et alors, tu désires ?

VALENTINE.

De l’argent.

TRIELLE.

Tu n’en as donc plus ?

VALENTINE.

Belle question ! Non, je n’en ai plus. Nous sommes le 1er octobre.

TRIELLE.

C’est ma foi vrai.

VALENTINE.

Je n’en ai plus !… Je n’en ai plus !… Je serais bien aise, si j’en avais encore, de savoir où je l’aurais pris. Supposes-tu que je me lève la nuit pour te voler ?

TRIELLE.

Qui te parle de voler, bon Dieu, et quelle nouvelle querelle viens-tu me chercher là ? Je ne suppose rien du tout. Je te donne, le premier de chaque mois, l’argent nécessaire au ménage ; pendant que le mois court, l’argent file, et la bourse est à sec quand le mois est à bout, c’est aussi simple que cela.

VALENTINE.

Puisqu’il en est ainsi, paye-moi ce qui me revient et conserve tes belles phrases pour les mettre dans tes romans. Ils en ont plus besoin que moi. Toc !

(Clignement d’œil.)

TRIELLE.

Patience !

VALENTINE.

Tu dis ?

TRIELLE.

L’heure est proche !… plus proche, même, que je ne le pensais.

VALENTINE.

Sais-tu ce que tu me fais ?

TRIELLE.

Je te fais suer ?

VALENTINE.

C’est décidément très curieux ! Tu devrais t’établir liseur d’âmes.

TRIELLE.

J’y songerai sur mes vieux jours. En attendant, nous allons régler nos petits comptes.

(Il va à sa table et en fait jouer le tiroir d’où il extrait des billets de banque.)

Nous disons ?

VALENTINE.

Huit cents ; tu le sais bien.

TRIELLE.

Huit cents.

(Feuilletant les billets.)

Un, deux, trois…

VALENTINE.

Il y a le terme.

TRIELLE.

Je le paierai à part… Quatre, cinq, six… Je vais te donner le reste en monnaie.

VALENTINE.

Si tu veux.

TRIELLE.

Ça te sera plus commode.

(Tirant de son gousset un peu d’or et d’argent qu’il aligne au bord de la table.)

Et cinquante, six cent cinquante. Voilà l’affaire.

VALENTINE.

Surprise.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

TRIELLE.

Ton argent.

VALENTINE.

Quel argent ?

TRIELLE.

L’argent pour le mois.

VALENTINE.

Il n’y a pas le compte.

TRIELLE.

Comment, pas le compte ?

VALENTINE.

Non.

TRIELLE.

Si.

VALENTINE.

Non. Est-ce que tu deviens imbécile ? De huit cents francs ôtez six cent cinquante ?

TRIELLE.

Reste cent cinquante francs.

VALENTINE.

Eh bien ?

TRIELLE.

Eh bien quoi ?

VALENTINE.

Donne-les moi.

TRIELLE.

Ah, non.

VALENTINE.

Pourquoi donc ?

TRIELLE.

Parce que tu me les dois.

VALENTINE.

Moi ?

FIN DE L’EXTRAIT

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